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L'ancien blog comportant les articles d'octobre 2011 à juin 2014 n'est malheureusement plus accessible.

Je vais le reconstituer peu à peu sur le présent site.

  • L'Art défini ?

    Tissayoxa 6

    Tissayoxa 6 - Acrylique sur carton toilé - 20x20

    Lu, ce matin, dans "Philosophie magazine" d'octobre 2015, la réponse de Charles Pépin, collaborateur de la revue, à un lecteur qui pose la question suivante : "Une œuvre d'art peut-elle être supérieure à une autre ?".

    Après une introduction évoquant une comparaison entre une sculpture de Giacometti et la chanson "Space Oddity" de David Bowie, Charles Pépin propose "de balayer tout cela du revers de votre main d'esthète et de n'avoir comme critère que ce que la beauté vous fait, subjectivement : ce plaisir étrange qui vous rend soudain présent au monde et à vous-même".

    Il y a parfois des moment de clarté, de ceux où l'on se dit "mais oui ! Bien sûr !", où l'on a l'impression d'avoir trouvé l'aiguille dans la botte de foin. L'Art, c'est ce qui rend présent au monde et à soi-même.

    Cette définition n'est pas ultime mais elle me touche plus que toute autre, ici et maintenant. Parce qu'elle englobe l'univers, de l'infiniment grand à l'infime, le tout dans un simple instant.

  • Changement de rails

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    Depuis quelques semaines, je sens mon rapport à l’art changer de rails.

    Jusqu’en juin dernier, ma préoccupation était de peindre et de valoriser ma production en communiquant, publiant, exposant. Cette flamme était activée par le souhait d’être vu, apprécié, reconnu.

    Cette préoccupation a quasiment disparu. Elle s’est réduite à tel point que si j’étais sollicité pour exposer, je réserverais ma réponse, alors qu’il y a quelques mois j’aurais aussitôt accepté.

    D’où ce changement de rails que j’évoque, mystérieux et troublant. Mystérieux parce que je ne connais pas son origine et que je n’ai pas vu l’aiguillage qui m’a fait changer de voie. Troublant par ce qu’il me rappelle, une fois encore, que la réalité l’emporte toujours sur les illusions.

    Quelles étaient-elles ? Je pensais que mon destin était tracé à travers l’exploration personnelle traduite en peinture et le fait de partager mes œuvres à travers mes expositions et mes écrits. Aujourd’hui, je perçois que ce destin ne tenait que par la croyance que j’en avais. Sous prétexte de vouloir absolument sentir ma place dans ce monde, je saisissais celle qui me paraissait la plus plausible et à portée de sensation : je suis artiste peintre, donc je dois peindre et exposer…

    Je fais désormais la part des choses entre être quelque part et me sentir quelque part. Où que l’on soit, à tout moment, on est toujours quelque part. À l’heure qu’il est, je suis en train d’écrire, face à la nature, parfois distrait par un écureuil qui fait ses provisions avant l’hiver. Je ne suis pas en train d’écrire le chapitre d’un livre ou ma prochaine publication sur les réseaux sociaux. Je suis juste en train de taper sur mon clavier, le reste viendra en son temps, selon la réalité du moment.

    Je sens la même nécessité que celle qui m’animait lorsque je peignais. Le plaisir n’est pas dans l’acte de peindre ni dans celui d’écrire. Il est dans le fait d’avancer, d’être en train de faire un pas. Peu importe qu’il soit en avant ou en arrière. Je fais un pas et c’est ce qui me rend vivant.

  • Saison 7 : les mouchoirs sont de retour !

    Akai 1

    Akai - acrylique sur toile - 2m x 1,50m - 2017

    Cette saison 7 de « The Voice » est un rendez-vous que je n’avais pas forcément envie d’honorer. Dans la matinée de ce dimanche 28 janvier, j’avais déjà vécu des moments intenses avec le combat épique entre les finalistes de l’Open d’Australie de tennis et la dernière étape spéciale du Rallye de Monte-Carlo. Peu importe les vainqueurs, c’est l’intensité qui me fait vibrer et des sensations, j'en ai eu à foison.

    C’est presque par hasard qu'une fois le calme revenu je me suis rendu compte qu’hier soir, c’était la première émission de la nouvelle saison de The Voice, que je suis depuis sa création. Chaque année début d'année depuis 2012, il est l’écho de ma progression artistique et de l’évolution de mon rapport à l’émotion viscérale, celle qui prend aux tripes. Qu'en serait-il avec l'édition 2018 ? La seule façon de savoir si la rencontre se fera une fois encore est d'en regarder le replay.

    Comme à chaque fois, je sens quelque chose de différent. Les deux premières années, en 2012-2013, j’étais dans l’admiration du talent des candidats. En 2014 et 2015, j'étais dans l'observation des techniques pour m’asseoir ensuite le plus souvent dans le fauteuil des coaches et tenter de percevoir les raisons de leurs (non-)sélection des différents candidats. Dans cette septième édition, j’ai la sensation de passer successivement des candidats aux sélectionneurs en passant par le public. Je me trouve dans la peau (ou plutôt la tête) du candidat qui chante puis, l'instant d'après, dans celle d'un des coaches qui se demande s'il va sélectionner le candidat puis, en une fraction de seconde, quelque part au dessus du plateau, à observer l'ensemble, l'atmosphère, les ondes qui flottent. Je butine des impressions et des sensations au gré des interprétations, des réactions des coaches, des atmosphères qui surviennent, des instants improbables et de ceux qui font tout basculer. J’ai des rétro-fusées directement branchées sur mon cerveau. Elles me permettent de mettre instantanément la bonne distance par rapport aux individus, aux œuvres et aux situations, selon mon inspiration. Je me sens davantage observateur que les années précédentes. De ce qui se passe de l'autre côté de l'écran mais, surtout, de moi-même et de mes réactions, sans jugement.

    Parmi la douzaine de prestations, deux m'ont particulièrement marqué :

    - Gulan, néo-calédonien de 45 ans, chante une chanson traditionnelle mélanésienne. Le son de la guitare, accordée en open-tuning, est pur, translucide même. La voix, douce, envahit l'espace. Après seulement quelques secondes, Zazie appuye sur le buzzer, sélectionnant l'artiste. L'émotion m'étreint. Florent Pagny choisit le moment où mes tripes se nouent pour, à son tour, se retourner et dire à Gulan "Je te veux dans mon équipe !". Sa famille, présente en coulisses est en larmes, profondément émue par l’interprétation. Sa présence est d’une force exceptionnelle. Il prend l’ascendant sur tout le monde, coaches inclus. On les sent tous petits au moment où le candidat doit choisir celui ou celle qui va l'accompagner pour la suite. Gulan, pieds nus, vêtu d'une simple tunique et d"un turban, les joues couvertes de peintures tribales, ne sait quoi faire ou dire au moment de quitter le plateau. Il semble égaré dans ce lieu mais, pourtant, ce sont les coaches qui semblent les plus gênés. La Présence, avec un grand P, c'est lui, avec sa simplicité et sa sincérité. Il paraît tellement authentique dans ce lieu ou tant de choses sont artificielles. Pas d’effusion avec sa famille lors du retour en coulisses. Gulan impose une distance par le respect qu’il inspire. Un moment unique !

    - Renata a mis le feu au public malgré plusieurs bleuseries, ces moments où les notes dissonnent légèrement, pas fausses mais pas complètement justes non plus. « C’était pas parfait, mais c’était parfait dans l’intention et parfait dans l’émotion », dit Mika. Renata répond : « Je me suis dit : je viens ici pour m’amuser… Du coup, j’ai oublié la justesse, j’ai tout oublié, mais je me suis vraiment amusée ! », nous prouvant qu’en étant simplement soi-même, la personnalité qui transparaît à travers la voix a bien plus d’impact que la technique vocale. Une leçon toujours utile à entendre dans notre monde où le comportement est dicté, et souvent biaisé, par l’obligation de réussir. Renata nous rappelle qu’au moment ultime, le mieux est d’oublier la fin. Penser à l’objectif, c’est cloisonner son énergie. Être dans l’instant, c’est donner à sa personnalité la possibilité de transpercer la plus puissante des carapaces. C’est rendre l’autre curieux et permettre la rencontre. La technique enferme. Parfois aussi la volonté, alors que la sincérité libère et ouvre. Renata a écouté ce qu'elle se disait... pas ce qu'elle voulait.

    Tout cela est très intéressant mais il manquerait quelque chose si je n'avais pas la boite de mouchoirs à côté de moi pour me permettre d'essuyer les larmes que provoquent les bouffées d'émotions. Comme celles qui ont submergé Pascal Obispo lorsque la toute jeune Rebecca interprète sa chanson "Lucille". Ces moments de chavirement laissent des impressions marquantes et rappellent comme il est bon, parfois, de se laisser envahir !

  • Ma responsabilité ? Poursuivre !

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    Aeolidia - Acrylique sur papier spécial - 21x30 - 2015

     

    Mercredi 2 août 2017

    J’ai reçu hier sur mon site internet un message particulièrement touchant. Un téléspectateur qui m’avait vu le jour-même lors de mon passage au jeu Harry écrivait :

    « Après vous avoir vu dans le programme Harry sur France 3 et en toute curiosité, vous sachant peintre, j'ai voulu découvrir votre art.
    Je l'ai fait avec beaucoup de plaisir, j'adore ce que vous faites, c'est bien autrement, c'est bien différent, c'est bien sans connotation, c'est bien véritable, c'est bien intelligent, c'est bien original, c'est bien venant de quelqu’un qui est riche d'imagination et de plaisirs de l'art, vos copies sont excellentes, vos créations le sont bien plus encore.
    …je pense avec toute humilité, que vous devriez et vous le faites depuis cette année, privilégier votre propre peinture elle est une grande peinture. Merci. »

    Le soir-même, je postais un mail en réponse à ce sympathique internaute, le remerciant de ses éloges. En général, je signe mes messages avec mes coordonnées mail et réseaux sociaux, sans laisser mon téléphone. Sans y avoir prêté attention, j’avais cette fois-ci omis de supprimer le numéro de téléphone de ma signature. Je m'en étais rendu compte plus tard, en rédigeant un nouveau message. Mercredi soir, rentrant d’une longue journée passée à l’extérieur, je reçois l’appel d’un numéro inconnu. Contrairement à mon habitude, je décroche. Mon interlocuteur se présente et je reconnais le nom de l’auteur du message si élogieux auquel j’avais répondu la veille.

    « Vous m’avez laissé votre téléphone, alors j’ai appelé. J’ai d’abord hésité à le faire et puis j’ai senti qu’il était nécessaire pour moi de vous parler, de vous entendre ». Nous avons beaucoup discuté. Très peu de technique et beaucoup à propos de ressentis et de posture.

    « À vous écouter, vous me révélez qui je suis. Vous exprimez des choses que je ressens et dont je n’avais pas encore pris conscience ». Mon interlocuteur est peintre, depuis une quinzaine d’années. Il sait ce qu’est la pulsion créatrice et aussi ce qu’est ne pas avoir envie, ni besoin, de peindre. Il me confie que son père était un excellent aquarelliste. Enfants, avec ses frères et sœurs il s’était essayé à l’exercice difficile de l’aquarelle. « Tu gouaches, mon fils ! » lui disait son père, soulignant ainsi qu’il pensait trop « couleur » et pas assez « lumière ». Il considérait n’être jamais parvenu à pratiquer l'aquarelle de façon satisfaisante. Pour lui, mes aquarelles sur Paris vu de la Seine témoignaient du fait que, contrairement à lui, j’avais compris comment fonctionne cette technique.

    Il était estomaqué de la rapidité avec laquelle j’étais arrivé à faire ma « propre peinture ». Il se considérait jeune dans la pratique avec dix-sept ans d’expérience. Mes cinq petites années représentaient pour lui un trajet fulgurant. Le mot me parlait, évidemment, puisque ma dernière exposition se nommait « Fulgurances ». Lui n’exposait pas malgré les sollicitations de son entourage. Il ne voyait pas l’utilité de le faire dans la mesure où il peignait pour lui, pas pour les autres. Nous avons commencé une discussion sur la question « y-a-t’il artiste s’il n’y a pas public ? ». Je me souviens avoir pensé que cela pourrait représenter un bon sujet de baccalauréat, le prof ajoutant « vous avez quatre heures ! ».

    Mon partenaire de discussion évoqua ensuite l’art vivant, en l’opposant à celui du passé. « Picasso, Cézanne, Van Gogh, Monet sont des maîtres mais ils sont morts. Vous, vous êtes vivant ! » me disait-il. « Ce que vous disiez à la télé de l’art et de votre façon d’être artiste m’a touché et m’a donné envie d’en savoir plus sur vous et sur ce que vous faites. Si l’art est vivant, c’est grâce à des gens comme vous. Pour cela, MERCI ! On parle trop des morts et pas assez des vivants. Vous devriez être davantage exposé et promu ».

    Aïe ! J’oscille entre la gêne d’être mis sur un piédestal et la satisfaction de l’ego. Maintenant, il faut assumer. Je me surprends à m'interpeler : « Tu as choisi la voie artistique, tu es mis en avant par une personne qui a osé prendre son téléphone pour t’appeler sans te connaître et te livrer avec sincérité ce qu'il ressent et qui te concerne… ». Où suis-je maintenant ? Que fais-je là, à discuter avec une personne qui m’encense ? Que puis-je faire de cette expérience ? Ces quarante-cinq minutes passées en sincère compagnie vont m’habiter longtemps et représentent une pierre blanche sur mon chemin. Une pierre lumineuse, visible, qui me dit « Tu es passé par là et ça t’a fait grandir. Maintenant, ta responsabilité est de poursuivre la route ».

  • Le choc de l'Humanité

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    Céleste 1 - Acrylique sur carton toilé - 47x37

    Vendredi 21 juillet 2017

    Choqué.

    Il est 7h du matin et, comme tous les matins, j’ouvre mon ordinateur et télécharge les mails de la nuit. Parmi ceux-ci, Le Quotidien du Médecin, la seule publication liée à ma vie professionnelle antérieure et à laquelle je reste abonné.

    « Décès du Pr Christophe Mariette ». Le nom de ce médecin lillois me rappelle le souvenir d’un TAP (Tiré à Part) portant ce nom. Il me ramène 15 ou 20 ans en arrière, à l’époque où j’étais responsable de l’administration de la visite médicale dans un laboratoire pharmaceutique. Mon équipe était chargée d’envoyer aux délégués médicaux la « littérature » utilisée pour soutenir leur discours d’information auprès des médecins.

    L’article montre une photo du Pr Mariette, plutôt jeune. Il était un spécialiste mondialement reconnu en chirurgie et cancérologie digestive. L’émoi provoqué par sa disparition est immense. De quoi est-il mort ? L’article ne le mentionne pas. J’ai la curiosité de vouloir savoir comment il est mort prématurément, à 48 ans. Généralement, une phrase, faisant par exemple référence à une « longue maladie », permet de comprendre la cause du décès. Mais là : rien !

    Je cherche un autre article où l’information pourrait être présente. Tous les organes de presse diffusent exactement le même communiqué citant l’homme et son parcours, mais toujours rien sur l’origine de sa mort. Cela finit par être suspect…

    C’est finalement sur le site de la Société Nationale Française de Gastro-Entérologie (SNFGE) que je lis la stupeur avec laquelle ses parents, amis et collègues ont appris que le médecin s’était donné la mort. L’émotion m’étreint. Il semble y avoir un immense décalage entre l’image que donnait cet homme, « brillant esprit, d'une intelligence aiguë, travailleur acharné, rigoureux et charismatique » et ce qu’il devait vivre intérieurement.

    Le déchirement qui va au-delà du supportable, la conscience de l’acte inévitable et fatal me touchent profondément. Ils me rappellent la fragilité de l’homme et me renvoient l’image de l’Humanité avec un grand « H ». Tel un fil d’Ariane, cette réflexion m’amène à la définition que donne Olivier Wahl de l’Art : « c’est ce qui donne l’image de ce que c’est qu’être humain ».

    L’Art, la conscience de l’acte ultime, la mort, le bouleversement qu’elle provoque… L’Humanité est le trait d’union de tout cela. J’absorbe le choc. Il diffuse en moi une onde à l’écho sourd et profond. Le Professeur Mariette eût été malade, l’émoi aurait été différent, le choc moins violent. Le résultat ne change rien ; c’est l’acte qui bouleverse.

    L’article sur le site de la SNFGE se termine de façon douce et poétique, tranchant avec la stupeur et la violence ressenties jusqu’ici : « Christophe est maintenant dans le ciel avec les étoiles filantes ». Je ne connaissais pas cet homme mais une chose est sûre : par l’émotion ressentie, je ne l’oublierai pas.

  • Alors ? Ça a marché ?

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    Le sous-sol du "Laboratoire d'exposition" ou se tenait l'expo "Fulgurances", du 12 au 15 juin 2017

     
    Jeudi 15 juin, 21h.
     
    L’expo est décrochée après 4 jours denses.
     
    - Alors, ça a marché ?
     
    Derrière cette question, j’entends souvent « Tu as vendu ? ». Pour l’artiste, « Vendre » n’est pas un gros mot mais il entretient avec lui des rapports pas toujours simples.
     
    D’abord à cause du prix. C’est cher un tableau. Dépenser parfois plusieurs centaines d’euros pour quelques gouttes de peintures réparties sur un morceau de toile avec un outil poilu ou métallique peut-il valoir si cher ? D’autant que l’art ne sert à rien dans notre société matérialiste. Il n’a pas de fonction dans la survie physique, comme peuvent l’avoir une maison, de la nourriture, une voiture, un parapluie ou des chaussures.
     
    Oui mais voilà : l’artiste vient de loin et l’art plus encore. Faire un tableau aura demandé une longue maturation, en tous cas en ce qui me concerne. Il en aura fallu des détours pour permettre aux gestes colorés d’éclore, d’être livrés au monde. Il en aura fallu des rencontres pour donner confiance, enseigner, stimuler, encourager. Il en aura fallu de l’audace pour oser (et) entreprendre. Il en aura fallu de la persévérance pour, inlassablement, apprendre, tenir la tête hors de l’eau, prêcher dans le désert, apprivoiser sa solitude, faire du doute un atout. Et il en faut de la détermination pour accepter de se mettre à nu, d’ôter une à une les carapaces dont on (je !) s’est couvert sans s’en rendre compte pendant des dizaines d’années afin de supporter la violence du monde, la douleur et parfois la souffrance qu’elle engendre.
     
    Et nous voilà, attendant le chaland, souriant, montrant qu’on est heureux d’accueillir le visiteur connu (Clément ! quel plaisir de te voir !) ou inconnu (Bonjour Madame, connaissez-vous la galerie ?). Doit-on l’accompagner pendant sa visite, le laisser découvrir par lui-même l’espace et les œuvres, descendre avec lui au sous-sol lorsqu’il s’y rend, laisser le silence exister au risque de paraître indifférent ou, au contraire, entamer la conversation au risque de gêner le visiteur dans sa découverte ?
     
    Un spectateur m’a dit que ma fiche artiste, présentant en quelques mots qui je suis, n’avait pas sa place placardée à côté d’un des tableaux (« le visiteur s’en fout, c’est l’œuvre qu’il vient voir ! »). Le lendemain, un autre m’a dit que la même fiche l’avait éclairé dans son accès à l’œuvre.
     
    Un collectionneur m’a dit son manque d’intérêt pour cette exposition (« vous n’apportez rien à l’histoire de l’art ! »), quand un amateur d’art m’a confié sa satisfaction d’être venu sur les conseils d’une connaissance (« je ne regrette pas d’être venu ! Ce que vous faites est puissant. Poursuivez ! »).
     
    Une exposition est un lieu atypique où sont présentés des objets inutiles que certains ne trouveront pas chers et d’autres hors de prix, qui peut se transformer d’un moment à l’autre en lieu de rencontre, endroit où l’on peut boire un verre, cabinet de psy, salon de philosophie, réunion familiale, espace de solitude et d’autres encore. Finalement, une expo est un formidable lieu d’observation de notre société pour l’artiste, où l’on peut voir ou entendre tout et son contraire sans que rien ne soit ni juste, ni faux.
     
    A-t-elle « marché » ? Si l’artiste répond « non », c’est qu’il en attendait quelque chose qui ne s’est pas produit : des visiteurs, des ventes, des articles dans la presse… S’il est bien dans son rôle d’artiste, dans sa peau d’artiste, la réponse ne peut être que « oui » : qu’il ait eu des ventes ou non, des visiteurs ou non, des retombées ou non, il en retire de la matière pour enrichir son expérience. À elle ou lui d’en faire ou non quelque chose pour transformer cette expérience en enseignement au service de la création.
     
    « Fulgurances » a-t-elle marché ? YES !

  • Transformer l'obstacle

    Je ne sais pas"Je ne sais pas" - Acrylique sur carton toilé - 70x50 - 2017

     

    « Créer, c’est transformer l’obstacle en création ». Cette phrase est récurrente dans les discussions que nous tenons avec Olivier Wahl et mes collègues artistes du Groupement Intensité, auquel je me suis affilié voici presque un an.

    Artips, plateforme qui diffuse 3 fois par semaine un billet retraçant une anecdote à propos de l’art, illustre parfaitement ce propos avec sa publication du jour. Elle évoque l’artiste Sophie Calle et son exposition « Prenez soin de vous », née en 2007.

    Un jour de 2004, Sophie reçoit de son compagnon du moment un e-mail de rupture se terminant par les mots « Prenez soin de vous ».  Emplie de tristesse, elle ne se laisse cependant pas envahir par l’émotion et prend la posture d’observatrice de la situation, considérant la lettre comme si elle n’en était pas la destinataire.

    Elle sollicite alors 107 femmes, choisies en fonction de leur métier, en leur demandant de parler pour elle en portant un regard professionnel sur ce mail. Comment l’analysent-elles ? Quels sont leurs commentaires de danseuse, journaliste, diplomate, sexologue, avocate, joueuse d’échec et représentantes de bien d’autres métiers ? Une marionnette et une poupée de bunraku (théâtre japonais) et un oiseau psittacidé ont même leur mot à dire.

    Le résultat sera présenté sous forme d’une exposition à la 52ème biennale d’art contemporain qui a lieu à Venise en 2007. Y sont mis en scène des textes, photos et vidéos présentant les interprétations reçues par Sophie Calle.

    Quel plus bel exemple peut-on trouver de transformation de l’obstacle en création ? Le résultat est produit sous un format artistique, mais cela n’est-il pas transposable dans notre vie quotidienne ? Lorsque quelque chose nous bloque, nous empêche d’avancer, plutôt que de s’apitoyer sur notre sort ou adopter une posture de résistance, comment peut-on le transformer en création, que ce soit en tant qu’entrepreneur ou artiste mais aussi en tant que parent, conjoint, collaborateur, voisin ou tout autre statut que l'on prend au quotidien ?

  • Le devenir n'existe pas !

    Clement1988 photo cavanagh ciric

    Olivier Clément (1921-2009) - Ecrivain, poète, théologien (photo cavanagh ciric - 1988)

     

    Mon père fait du rangement et parfois des trouvailles. La dernière m'a ramené quarante-cinq ans en arrière. J'étais alors étudiant dans un lycée parisien.

    L'histoire-géo était une matière jugée mineure dans le cursus scientifique que je suivais à l'époque. En classe de seconde, le prof se faisait régulièrement chahuter et il lui était parfois impossible d'assurer correctement son cours. J'assistais au spectacle, d'un côté amusé de l'audace de mes camarades et de l'autre désolé de voir un professeur respectable subir l'effronterie d'un groupe d'excités.

    L'année suivante, en première, c'était bien différent. Le professeur d'histoire-géo, Olivier Clément, avait une autorité naturelle. Quand il parlait, on écoutait. Il avait l'élocution d'un conférencier, verbe choisi, accessible au public. Il parlait clair, d'un ton doctoral que son érudition autorisait aux yeux des adolescents en quête de repères que nous étions. Il restait campé derrière le bureau, juché sur une estrade. Il quittait cet ilôt lors des contrôles, parcourant les allées, silencieux, menton levé, mains jointes dans le dos. Il y avait dans sa posture une certaine noblesse mais aussi les signes du respect et de la bienveillance... en un mot : de l'humanité.

    Découverte au fond d'un tiroir, une feuille A4 dactylographiée et signée de mon ancien professeur se trouve entre les mains de mon père. Il me la tend, pensant que sa lecture pourrait m'intéresser. Je lis les premiers mots : "Dans la démarche de l'artiste...". Oui ! Ça m'intéresse ! Je lis la suite avec avidité :

    "Dans la démarche de l'artiste, dans la démarche de tout homme qui s'arrache au somnambulisme du quotidien, il y a recherche, creusement, interrogation. Ou, plus simplement, et d'un mot qui résume tout, éveil...

    Les vieux ascètes disaient que le plus grand des péchés est l'oubli : devenir opaque, insensible, tantôt affairé, tantôt pauvrement sensuel, incapable de s'arrêter un instant dans le silence, de s'étonner, de chanceler devant l'abîme, qu'il soit d'horreur ou de jubilation. Incapable d'aimer, d'admirer, de se révolter, incapable d'accueillir les êtres et les choses, insensible aux sollicitations secrètes.

    L'art ici nous éveille. Il nous approfondit dans l'existence, il fait de nous des hommes et non des machines. Il rend nos joies solaires et nos blessures saignantes.

    Il nous ouvre à l'angoisse et à l'émerveillement... émerveillement qui se fait parfois gratitude d'être" (*).

    J'aime la fulgurance de ce retour en arrière. Elle a quelque chose à voir avec ma façon de peindre. Je perçois aujourd'hui le privilège d'avoir croisé l'homme qui a écrit ces phrases en lien direct avec ce que je vis depuis quelques mois. À leur lecture, je retrouve avec tendresse des années de souffrance scolaire, écrasé par le poids d'un avenir que je devais assurer et d'un devenir que je devais résussir. J'ai gardé, jusque récemment, cette épée de Damoclès au dessus de ma tête.

    Olivier Wahl, artiste et écrivain avec lequel je m'entretiens régulièrement à propos de l'art et de l'artiste, a donné un jour une définition de l'art qui m'a marquée : "L'art, c'est ce qui donne l'image de ce que c'est qu'être humain". Cette vision, partagée avec Olivier Clément, rend plus légère mon existence. Elle m'apaise dans la mesure où je sens que ma quête d'art passe par l'éveil, ancré dans le réel et dans la conscience du moment présent. Je perçois ainsi la bonne nouvelle : ce devenir qui m'angoissait n'existe pas, puisqu'il change à chaque instant !

     

    (*) Phrases extraites d'un texte constitué en préface au catalogue d'icônes de l'exposition "Les arrhes du Royaume" (Atelier Gustave, Paris 2007).

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