Articles 2017

  • Ma responsabilité ? Poursuivre !

    Aeolidia br 1

    Aeolidia - Acrylique sur papier spécial - 21x30 - 2015

     

    Mercredi 2 août 2017

    J’ai reçu hier sur mon site internet un message particulièrement touchant. Un téléspectateur qui m’avait vu le jour-même lors de mon passage au jeu Harry écrivait :

    « Après vous avoir vu dans le programme Harry sur France 3 et en toute curiosité, vous sachant peintre, j'ai voulu découvrir votre art.
    Je l'ai fait avec beaucoup de plaisir, j'adore ce que vous faites, c'est bien autrement, c'est bien différent, c'est bien sans connotation, c'est bien véritable, c'est bien intelligent, c'est bien original, c'est bien venant de quelqu’un qui est riche d'imagination et de plaisirs de l'art, vos copies sont excellentes, vos créations le sont bien plus encore.
    …je pense avec toute humilité, que vous devriez et vous le faites depuis cette année, privilégier votre propre peinture elle est une grande peinture. Merci. »

    Le soir-même, je postais un mail en réponse à ce sympathique internaute, le remerciant de ses éloges. En général, je signe mes messages avec mes coordonnées mail et réseaux sociaux, sans laisser mon téléphone. Sans y avoir prêté attention, j’avais cette fois-ci omis de supprimer le numéro de téléphone de ma signature. Je m'en étais rendu compte plus tard, en rédigeant un nouveau message. Mercredi soir, rentrant d’une longue journée passée à l’extérieur, je reçois l’appel d’un numéro inconnu. Contrairement à mon habitude, je décroche. Mon interlocuteur se présente et je reconnais le nom de l’auteur du message si élogieux auquel j’avais répondu la veille.

    « Vous m’avez laissé votre téléphone, alors j’ai appelé. J’ai d’abord hésité à le faire et puis j’ai senti qu’il était nécessaire pour moi de vous parler, de vous entendre ». Nous avons beaucoup discuté. Très peu de technique et beaucoup à propos de ressentis et de posture.

    « À vous écouter, vous me révélez qui je suis. Vous exprimez des choses que je ressens et dont je n’avais pas encore pris conscience ». Mon interlocuteur est peintre, depuis une quinzaine d’années. Il sait ce qu’est la pulsion créatrice et aussi ce qu’est ne pas avoir envie, ni besoin, de peindre. Il me confie que son père était un excellent aquarelliste. Enfants, avec ses frères et sœurs il s’était essayé à l’exercice difficile de l’aquarelle. « Tu gouaches, mon fils ! » lui disait son père, soulignant ainsi qu’il pensait trop « couleur » et pas assez « lumière ». Il considérait n’être jamais parvenu à pratiquer l'aquarelle de façon satisfaisante. Pour lui, mes aquarelles sur Paris vu de la Seine témoignaient du fait que, contrairement à lui, j’avais compris comment fonctionne cette technique.

    Il était estomaqué de la rapidité avec laquelle j’étais arrivé à faire ma « propre peinture ». Il se considérait jeune dans la pratique avec dix-sept ans d’expérience. Mes cinq petites années représentaient pour lui un trajet fulgurant. Le mot me parlait, évidemment, puisque ma dernière exposition se nommait « Fulgurances ». Lui n’exposait pas malgré les sollicitations de son entourage. Il ne voyait pas l’utilité de le faire dans la mesure où il peignait pour lui, pas pour les autres. Nous avons commencé une discussion sur la question « y-a-t’il artiste s’il n’y a pas public ? ». Je me souviens avoir pensé que cela pourrait représenter un bon sujet de baccalauréat, le prof ajoutant « vous avez quatre heures ! ».

    Mon partenaire de discussion évoqua ensuite l’art vivant, en l’opposant à celui du passé. « Picasso, Cézanne, Van Gogh, Monet sont des maîtres mais ils sont morts. Vous, vous êtes vivant ! » me disait-il. « Ce que vous disiez à la télé de l’art et de votre façon d’être artiste m’a touché et m’a donné envie d’en savoir plus sur vous et sur ce que vous faites. Si l’art est vivant, c’est grâce à des gens comme vous. Pour cela, MERCI ! On parle trop des morts et pas assez des vivants. Vous devriez être davantage exposé et promu ».

    Aïe ! J’oscille entre la gêne d’être mis sur un piédestal et la satisfaction de l’ego. Maintenant, il faut assumer. Je me surprends à m'interpeler : « Tu as choisi la voie artistique, tu es mis en avant par une personne qui a osé prendre son téléphone pour t’appeler sans te connaître et te livrer avec sincérité ce qu'il ressent et qui te concerne… ». Où suis-je maintenant ? Que fais-je là, à discuter avec une personne qui m’encense ? Que puis-je faire de cette expérience ? Ces quarante-cinq minutes passées en sincère compagnie vont m’habiter longtemps et représentent une pierre blanche sur mon chemin. Une pierre lumineuse, visible, qui me dit « Tu es passé par là et ça t’a fait grandir. Maintenant, ta responsabilité est de poursuivre la route ».

  • Le choc de l'Humanité

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    Céleste 1 - Acrylique sur carton toilé - 47x37

    Vendredi 21 juillet 2017

    Choqué.

    Il est 7h du matin et, comme tous les matins, j’ouvre mon ordinateur et télécharge les mails de la nuit. Parmi ceux-ci, Le Quotidien du Médecin, la seule publication liée à ma vie professionnelle antérieure et à laquelle je reste abonné.

    « Décès du Pr Christophe Mariette ». Le nom de ce médecin lillois me rappelle le souvenir d’un TAP (Tiré à Part) portant ce nom. Il me ramène 15 ou 20 ans en arrière, à l’époque où j’étais responsable de l’administration de la visite médicale dans un laboratoire pharmaceutique. Mon équipe était chargée d’envoyer aux délégués médicaux la « littérature » utilisée pour soutenir leur discours d’information auprès des médecins.

    L’article montre une photo du Pr Mariette, plutôt jeune. Il était un spécialiste mondialement reconnu en chirurgie et cancérologie digestive. L’émoi provoqué par sa disparition est immense. De quoi est-il mort ? L’article ne le mentionne pas. J’ai la curiosité de vouloir savoir comment il est mort prématurément, à 48 ans. Généralement, une phrase, faisant par exemple référence à une « longue maladie », permet de comprendre la cause du décès. Mais là : rien !

    Je cherche un autre article où l’information pourrait être présente. Tous les organes de presse diffusent exactement le même communiqué citant l’homme et son parcours, mais toujours rien sur l’origine de sa mort. Cela finit par être suspect…

    C’est finalement sur le site de la Société Nationale Française de Gastro-Entérologie (SNFGE) que je lis la stupeur avec laquelle ses parents, amis et collègues ont appris que le médecin s’était donné la mort. L’émotion m’étreint. Il semble y avoir un immense décalage entre l’image que donnait cet homme, « brillant esprit, d'une intelligence aiguë, travailleur acharné, rigoureux et charismatique » et ce qu’il devait vivre intérieurement.

    Le déchirement qui va au-delà du supportable, la conscience de l’acte inévitable et fatal me touchent profondément. Ils me rappellent la fragilité de l’homme et me renvoient l’image de l’Humanité avec un grand « H ». Tel un fil d’Ariane, cette réflexion m’amène à la définition que donne Olivier Wahl de l’Art : « c’est ce qui donne l’image de ce que c’est qu’être humain ».

    L’Art, la conscience de l’acte ultime, la mort, le bouleversement qu’elle provoque… L’Humanité est le trait d’union de tout cela. J’absorbe le choc. Il diffuse en moi une onde à l’écho sourd et profond. Le Professeur Mariette eût été malade, l’émoi aurait été différent, le choc moins violent. Le résultat ne change rien ; c’est l’acte qui bouleverse.

    L’article sur le site de la SNFGE se termine de façon douce et poétique, tranchant avec la stupeur et la violence ressenties jusqu’ici : « Christophe est maintenant dans le ciel avec les étoiles filantes ». Je ne connaissais pas cet homme mais une chose est sûre : par l’émotion ressentie, je ne l’oublierai pas.

  • Alors ? Ça a marché ?

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    Le sous-sol du "Laboratoire d'exposition" ou se tenait l'expo "Fulgurances", du 12 au 15 juin 2017

     
    Jeudi 15 juin, 21h.
     
    L’expo est décrochée après 4 jours denses.
     
    - Alors, ça a marché ?
     
    Derrière cette question, j’entends souvent « Tu as vendu ? ». Pour l’artiste, « Vendre » n’est pas un gros mot mais il entretient avec lui des rapports pas toujours simples.
     
    D’abord à cause du prix. C’est cher un tableau. Dépenser parfois plusieurs centaines d’euros pour quelques gouttes de peintures réparties sur un morceau de toile avec un outil poilu ou métallique peut-il valoir si cher ? D’autant que l’art ne sert à rien dans notre société matérialiste. Il n’a pas de fonction dans la survie physique, comme peuvent l’avoir une maison, de la nourriture, une voiture, un parapluie ou des chaussures.
     
    Oui mais voilà : l’artiste vient de loin et l’art plus encore. Faire un tableau aura demandé une longue maturation, en tous cas en ce qui me concerne. Il en aura fallu des détours pour permettre aux gestes colorés d’éclore, d’être livrés au monde. Il en aura fallu des rencontres pour donner confiance, enseigner, stimuler, encourager. Il en aura fallu de l’audace pour oser (et) entreprendre. Il en aura fallu de la persévérance pour, inlassablement, apprendre, tenir la tête hors de l’eau, prêcher dans le désert, apprivoiser sa solitude, faire du doute un atout. Et il en faut de la détermination pour accepter de se mettre à nu, d’ôter une à une les carapaces dont on (je !) s’est couvert sans s’en rendre compte pendant des dizaines d’années afin de supporter la violence du monde, la douleur et parfois la souffrance qu’elle engendre.
     
    Et nous voilà, attendant le chaland, souriant, montrant qu’on est heureux d’accueillir le visiteur connu (Clément ! quel plaisir de te voir !) ou inconnu (Bonjour Madame, connaissez-vous la galerie ?). Doit-on l’accompagner pendant sa visite, le laisser découvrir par lui-même l’espace et les œuvres, descendre avec lui au sous-sol lorsqu’il s’y rend, laisser le silence exister au risque de paraître indifférent ou, au contraire, entamer la conversation au risque de gêner le visiteur dans sa découverte ?
     
    Un spectateur m’a dit que ma fiche artiste, présentant en quelques mots qui je suis, n’avait pas sa place placardée à côté d’un des tableaux (« le visiteur s’en fout, c’est l’œuvre qu’il vient voir ! »). Le lendemain, un autre m’a dit que la même fiche l’avait éclairé dans son accès à l’œuvre.
     
    Un collectionneur m’a dit son manque d’intérêt pour cette exposition (« vous n’apportez rien à l’histoire de l’art ! »), quand un amateur d’art m’a confié sa satisfaction d’être venu sur les conseils d’une connaissance (« je ne regrette pas d’être venu ! Ce que vous faites est puissant. Poursuivez ! »).
     
    Une exposition est un lieu atypique où sont présentés des objets inutiles que certains ne trouveront pas chers et d’autres hors de prix, qui peut se transformer d’un moment à l’autre en lieu de rencontre, endroit où l’on peut boire un verre, cabinet de psy, salon de philosophie, réunion familiale, espace de solitude et d’autres encore. Finalement, une expo est un formidable lieu d’observation de notre société pour l’artiste, où l’on peut voir ou entendre tout et son contraire sans que rien ne soit ni juste, ni faux.
     
    A-t-elle « marché » ? Si l’artiste répond « non », c’est qu’il en attendait quelque chose qui ne s’est pas produit : des visiteurs, des ventes, des articles dans la presse… S’il est bien dans son rôle d’artiste, dans sa peau d’artiste, la réponse ne peut être que « oui » : qu’il ait eu des ventes ou non, des visiteurs ou non, des retombées ou non, il en retire de la matière pour enrichir son expérience. À elle ou lui d’en faire ou non quelque chose pour transformer cette expérience en enseignement au service de la création.
     
    « Fulgurances » a-t-elle marché ? YES !

  • Transformer l'obstacle

    Je ne sais pas"Je ne sais pas" - Acrylique sur carton toilé - 70x50 - 2017

     

    « Créer, c’est transformer l’obstacle en création ». Cette phrase est récurrente dans les discussions que nous tenons avec Olivier Wahl et mes collègues artistes du Groupement Intensité, auquel je me suis affilié voici presque un an.

    Artips, plateforme qui diffuse 3 fois par semaine un billet retraçant une anecdote à propos de l’art, illustre parfaitement ce propos avec sa publication du jour. Elle évoque l’artiste Sophie Calle et son exposition « Prenez soin de vous », née en 2007.

    Un jour de 2004, Sophie reçoit de son compagnon du moment un e-mail de rupture se terminant par les mots « Prenez soin de vous ».  Emplie de tristesse, elle ne se laisse cependant pas envahir par l’émotion et prend la posture d’observatrice de la situation, considérant la lettre comme si elle n’en était pas la destinataire.

    Elle sollicite alors 107 femmes, choisies en fonction de leur métier, en leur demandant de parler pour elle en portant un regard professionnel sur ce mail. Comment l’analysent-elles ? Quels sont leurs commentaires de danseuse, journaliste, diplomate, sexologue, avocate, joueuse d’échec et représentantes de bien d’autres métiers ? Une marionnette et une poupée de bunraku (théâtre japonais) et un oiseau psittacidé ont même leur mot à dire.

    Le résultat sera présenté sous forme d’une exposition à la 52ème biennale d’art contemporain qui a lieu à Venise en 2007. Y sont mis en scène des textes, photos et vidéos présentant les interprétations reçues par Sophie Calle.

    Quel plus bel exemple peut-on trouver de transformation de l’obstacle en création ? Le résultat est produit sous un format artistique, mais cela n’est-il pas transposable dans notre vie quotidienne ? Lorsque quelque chose nous bloque, nous empêche d’avancer, plutôt que de s’apitoyer sur notre sort ou adopter une posture de résistance, comment peut-on le transformer en création, que ce soit en tant qu’entrepreneur ou artiste mais aussi en tant que parent, conjoint, collaborateur, voisin ou tout autre statut que l'on prend au quotidien ?

  • Défi d'artiste - L'expo

    Defi d artistes hesitations

    Défi d'artistes : Hésitations - Acrylique sur toile - 100x50 - 2017

    Nos 3 jours de création furent immédiatement suivis de 3 jours d'exposition présentant les œuvres produites les trois premiers jours.

    Exposer à 7 dans un espace investi en général par 2 ou 3 artistes est un exercice délicat. Chacun doit trouver sa place sans qu'un autre y trouve à redire. Dans cet exercice potentiellement périlleux, Olivier, maître des lieux et grand ordonnateur de l'évènement, est garant de l'harmonie de son déroulement. Il est indispensable que chaque artiste se sente traité équitablement. Pour autant, il ne s'agit pas pour un artiste de s'effacer au profit d'un autre sous prétexte d'équité, que ce soit par gentillesse ou par faiblesse. Il ne doit pas penser "ensemble" ni accepter d'emblée un emplacement qui ne lui convient pas sous prétexte de ne "pas faire de vagues".

    L'équilibre fut rendu possible par la rigueur bienveillante d'Olivier et la volonté de chaque artiste de parvenir dans un temps imparti à un résultat acceptable pour tous. Chacun a ainsi trouvé son espace. Le style de chaque artiste est particulier mais le choix des créations et leur accrochage donnaient une réjouissante impression de fluidité au regard.

    Une expo n'est pas une simple collection d'œuvres exposées au public. Il doit s'en dégager quelque chose en tout moment et tout lieu : de l'extérieur, à l'entrée de la galerie et quelque soit l'endroit où l'on s'y trouve. La première erreur est de surcharger l'espace. Les œuvres s'étouffent alors les unes les autres. Il se dégage d'une toile ou d'une sculpture une force, une puissance relative qui la rend fréquentable ou non par d'autres créations. À ne pas recpecter la bonne distance, on crée une cacophonie visuelle ou sensorielle qui ne doit exister que si elle est un parti pris, une volonté de l'exposant.

    Cette expérience collective restera pour moi une référence pour l'avenir. J'en retiendrai aussi qu'une exposition est vivante et que le public peut la faire évoluer. Ce fut le cas en ce qui me concerne. Des toiles rectangulaires présentées verticalement se sont retrouvées à l'horizontale pendant qu'une autre est devenue verticale. Ce changement de format a impliqué qu'une des toiles exposées a été retirée.

    La relation au public a été à l'image de cette manifestation : harmonieuse, joyeuse, fluide et parfois empreinte de ces émotions qui restent pour toujours gravées dans la mémoire tant elles sont fortes. Des expositions personnelles ou collectives que j'ai réalisées à ce jour, celle de "Défi d'artistes" est celle qui m'aura fait le plus progresser en tant qu'exposant. Elle m'aura permis de fixer des repères qui éclaireront mes choix pour les expositions à venir.

  • Défi d’artistes – J3 : Synthèse

    Les murs rien

    Défi d'artistes - "Les murs rien" - Acrylique sur toile - 90x90 - 2017

    J'ai du mal à parler de J3. Pourtant ce fut la journée la plus tranquille des trois, ou devrais-je dire la moins chaotique.

    C'est probablement dû à l'intensité avec laquelle j'ai vécu les 2 premières journées de "Défi d'artistes". En passant du plus haut au plus bas et en ayant, comme je l'ai eue, la possibilité d'observer mes réactions et mes émotions, la suite est médiane, mitoyenne, moins extrême en tous cas que ce qui a déjà été vécu.

    Pour résumer, j'associerais J1 à la découverte (je fais le tour du problème, comment je commence), suivie de la confiance (j'ai compris comment procéder et j'arrive à lâcher prise), puis d'une certaine lassitude (j'ai besoin de récupérer).

    Derrière J2, je mettrais la stupeur (ça ne se passe pas comme prévu), suivie du rejet (je ne me sens pas bien ici, la collectivité me pèse, j'ai envie de fuir) pour terminer par la résignation (j'ai choisi d'être là, j'assume d'y rester).

    J3 me donne une impression de synthèse. J'ai la sensation de vivre J1 et J2 avec moins d'émotion, et même un certain détachement. La collectivité n'est plus un problème : j'arrive à m'isoler. Je n'ai pas envie de peindre ? Ce n'est pas un problème : je sors, je lis, j'écris. Je devrais profiter de tout ce matériel disponible pour permettre l'émergence de la création ? Rien de plus simple ! Il suffit de s'y mettre.

    J'aurais voulu faire une toile d'un mètre sur 40cm, mais il n'y a plus de châssis de cette dimension. Même pas grave ! J'aurais voulu du blanc pour faire mon fond, mais les tubes de blanc sont vides. Et alors ? La création s'invitera à partir de ce qui est disponible : ce sera donc un carré de 90cm de côté et je prendrai de la couleur chair au lieu du blanc. "Les murs rien" émerge de ces manques et c'est très bien comme ça. L'œuvre n'est ni bonne, ni mauvaise. C'est elle qui devait être produite à cet instant avec ces moyens. Elle sera la seule de cette troisième journée.

    Celle-ci se termine par une grande opération de nettoyage. Demain, vendredi, nous faisons l'accrochage.

  • Défi d’artistes – J2 : Je me débats, fatigué

     

    Defi d artistes echo 2

    Défi d'artistes - Echo 2 - Acrylique sur toile - 100x40 - 2017

    J’arrive ce matin dans la lignée (aligné ?) de là où j’en étais hier soir. J’avais su gérer les moments d’adversité ; je devrais savoir le faire aujourd’hui.

    Je retrouve les réflexes de ma « vie d’avant » en identifiant ce qui me paraît urgent et important, en l’occurrence élaborer une réponse au défi du public qui est de « faire l’esquisse du projet artistique le plus fou que vous puissiez imaginer ». Comme la veille, je commence ma journée par ce point de repère en guise d’échauffement.

    Je poursuis l’idée trouvée hier mais plus j’avance, plus ça devient complexe. Dans mon projet, je fais interagir les gens, la technologie, la géographie, les couleurs et le mouvement. Comme hier cette complexité devient plus lourde que stimulante mais bon… je n’ai pas d’autre piste. Je suis dans le marécage, je ne peux rien faire d’autre qu’avancer. Au bout d’une heure, arrivé à saturation, j’arrête le travail pour passer à autre chose.

    Je construis un nouveau châssis rectangulaire pour travailler sur une nouvelle toile. Lors de récentes expositions, plusieurs spectateurs m’ont dit que mes gestes colorés les réconciliaient avec les fonds sombres. Je décide de prendre cette direction pour commencer ma toile. Pour la première fois depuis 4 ans, j’abandonne les couleurs primaires pour choisir un pourpre déjà fait. Je dois être dans une bonne énergie car le résultat me convient. J’enchaîne en préparant une seconde toile et là, tout bascule.

    Alors que j’étais dans ma barque, plutôt tranquille, voguant sur l’océan de la création, je ne m’étais pas rendu compte que mon embarcation prenait l’eau. Je sens que ça penche, j’essaye de rétablir l’équilibre. Mes gestes sur la toile deviennent hasardeux, plus secs, plus courts. La belle énergie dont je parlais plus tôt n’est même plus un souvenir. Je me débats pour ne pas passer par-dessus bord. Avec l’énergie du désespoir, je sens que je surcharge ma toile de gestes et de couleurs. Arrivé à saturation, je déclare ma toile terminée avant de plonger.

    Bon sang, que l’eau est froide !! Comme hier, je sens que « plus rien ne vient ». Mais autant hier je ne m’affolais pas, résolu à laisser passer l’orage, autant là, maintenant, je sens que la panique vient s’ajouter au désespoir. Je ne sais pas na-geeerrr ! J’ai envie d’appeler à l’aide mais je me ravise dans un instant de lucidité. De quoi ai-je peur ? Qu’est-ce qui me pose problème ? Rien n’est grave. Je suis juste dans une situation inconfortable et de plus, je l’ai cherchée. Cette sensation me ramène 5 années en arrière, le jour de ma découverte de l’art abstrait. J'avais alors vécu un moment d'anxiété profonde.

    Je décide de m’aérer. Je me balade dans le quartier (Bonne Nouvelle, Grands Boulevard, y’a pire !), flâne dans une librairie, reviens à la Galerie, prend mon ordinateur et rédige mon article de blog sur « Défi d’artistes – J1 ». En fin de journée, nous débriefons avec Olivier et nos « témoins », qui sont des personnes de notre entourage qui ont accepté d’endosser le rôle du public pour nous aider à présenter notre défi.

    La panique est retombée. J’ai de la compassion pour l’enfant que j’étais aujourd’hui, qui se débattait dans ce qu’il croyait être l’océan et qui n’était qu’une pataugeoire. Je me sens profondément humain, c’est-à-dire fragile, sensible, mais avec une force qui me tient debout. La fatigue est là. Le soir, une fois rentré à la maison, je prends ma tension : 10 / 6. Je ne l’avais jamais vue aussi basse. Une nuit d’un sommeil court mais réparateur devrait me remettre d’aplomb.

     

    Si vous le pouvez, venez demain vendredi 17 février au vernissage, à partir de 18h30, ou samedi 18 / dimanche 19 février de 14h à 19h au « Laboratoire d’exposition », 13 rue de l’Échiquier – 75010 Paris.

    Le public est un élément essentiel de la création artistique par le regard qu’il propose à l’artiste sur son œuvre. Chaque regard est une naissance avec tout ce qu’elle apporte de joie et de partage.

  • Défi d'artistes - J1 : aligné !

    Defi d artistes echo 1

    Defi d'artistes - Echo 1 - 100x40 - 2017

    Je me suis préparé à ne rien espérer, ne rien attendre.

    Nous sommes 7 artistes, tous à des stades différents, avec des histoires différentes. Plusieurs ont une expérience artistique de longue date, certains ont une formation d’architecte, les âges vont du simple au double. Nous passons une bonne heure à nous présenter, citer notre défi, évoquer notre état d’esprit.

    Pour ma part, j’ai l’impression d’être « au milieu ». Je n’ai ni excitation ni inquiétude, ni envie ni rejet. Je me dis que c’est la quiétude mais je me méfie de cette pensée. Je me sens curieux, dans l’observation de ce qui se passe et de mon état intérieur. Le projet choisi par le public est « faire l’esquisse du projet artistique le plus fou que vous puissiez imaginer ». Ça n’a l’air d’enchanter personne mais nous devons nous y soumettre.

    Comme je m’y attendais, je n’ai ni envie, ni besoin de peindre. La tension que j’ai identifiée comme nécessaire n’existe pas. En tous cas pas encore. C’est par le travail sur le défi du public que je décide de commencer cette première matinée. J’ai besoin de repères et cette figue imposée m’en offre un. J’ai une idée que je couche sur le papier. Je commence à dessiner. Je travaille aux antipodes de mes habitudes. Je me retrouve comme 5 ans en arrière, à l’époque où je faisais des petits gestes avec mes petits pinceaux au bout de mes petits doigts. Après quelques dizaines de minutes, je n’y tiens plus. J’ai envie de tout envoyer balader en faisant de grands gestes. Ma soif d’amplitude vient à bout de mon application à travailler sur ce défi. Je me trouve laborieux. Je range tout. Je reprendrai demain.

    Commence alors pour moi une période pas vraiment agréable. À la maison, j’aurais mis un peu de musique, j’aurais flâné sur internet, j’aurais commencé l’écriture d’un article ou répondu à des mails… Mais là, je n’ai rien de tout cela. Je suis debout, les mains dans les poches, le regard dans le vide, ressassant que « rien ne vient ». Je déambule au milieu des pots de peinture, des châssis à construire et de tout le matériel nécessaire pour construire un œuvre. Il y en a partout mais… « rien ne vient » !

    J’ai appris à gérer ces moments. Je ne me dis même pas « patience, Denis ; ça va venir… ». Je suis venu ici me mettre volontairement dans une situation inconfortable et je suis en plein dedans. Je n’avais plus ressenti cette sensation depuis des années. C’est fou comme une pensée négative peut être sclérosante, lénifiante, étouffante. Et pourtant, je n’ai d’autre choix que de l’accepter. Lutter contre ne la fera pas disparaître. Au contraire ! Je me rends compte que lutter renforce la présence adverse.

    Après plusieurs dizaines de minutes à ressasser, le temps est venu d’accepter et de passer à autre chose. Il y a tout ce matériel qui m’entoure : du papier, de la toile, des châssis, de l’acrylique, de l’aquarelle, de l’encre de chine, des crayons de couleurs, des craies, des pastels, des compas, règles et rapporteurs, des pinceaux, des couteaux, des rouleaux, des punaises, un marteau, des tables des chaises, des cimaises et j’en oublie. J’ai tout à coup envie de faire quelque chose de tout cette profusion. Ce serait dommage de ne pas en profiter. La tension disparaît et je choisis de construire un châssis rectangulaire, format sur lequel j’ai toujours eu des difficultés à faire mes « gestes colorés ». Cette activité artisanale me remet d’aplomb. Je retrouve le plaisir que j’avais, enfant, à construire des maisons en Lego ou à emboîter des morceaux de bois pour construire une cabane.

    Tout se passe ensuite très vite. Le châssis appelle la matière colorée qui, elle-même, appelle le geste. La place est à l’action et à… l’étonnement. C’est un indice : la création est dans les parages. Une toile vient puis deux autres dans l’après-midi. Je me sens au bon endroit, à faire ce pourquoi je suis là, tranquillement. J’ai l’impression d’avoir contourné les obstacles par ma persévérance, sans avoir dû lutter. Je sors content de cette première journée. Je me sens « aligné ».

  • Bonne année ? À quoi bon...?

    Sevillane

    Sévillane - Acrylique sur papier spécial - 30x21 - 2017

    Les fruits ont leur saison, les artistes aussi. En hiver, la nature est moins productive. Pourtant elle continue à travailler. Les plantes se recentrent. La sève abandonne les parties les plus fragiles et les plus exposées pour préserver ce qui assurera bientôt leur vitalité. Si le jour dure moins longtemps, la lumière est parfois plus vive, les feuilles n'étant plus là pour arrêter son parcours. Les troncs et les branches des caducs sont nus, laissant apparaître leur fragilité, leur élancement, leur unicité, leur solutide.

    Je me sens arbre. Quand j'écris et partage, j'enracine mes sensations, j'ajoute mon expérience de chaque instant aux expériences passées. Chaque année apporte au tronc de ma vie une strie supplémentaire, faite d'instants marquants car vécus en conscience. Les stries ne se voient pas. Pourtant elles existent. Chacun de nous a les siennes. L'artiste les sent. Leur marque est significative de la façon dont il a vécu avec et par son environnement. Comme l'arbre, l'artiste prend ce qui vient, sans espoir et sans regrets.

    L'arbre ne pense pas sa vie. Il n'a ni projets ni envies. Il a juste des besoins pour se développer. Son environnement le marque. Il y est sensible. C'est ce qui fait de lui une œuvre, une œuvre de la nature. Je n'ai pas envie d'être un arbre ; je SUIS un arbre sur le terrain de la société, du monde, de l'univers. Je me transforme au rythme des saisons. De l'une à l'autre je parais différent mais je suis reconnaissable. Qu'on le veuille ou non, selon les années, je donnerai des fruits... ou pas, j'en produirai des gros ou des petits, des fruités ou des acides. Mais, si  je reste sauvage, qui peut prédire avec certitude si mon avenir sera fructueux... ou pas ?

    D'une saison à l'autre, d'une année à l'autre, l'artiste produit des œuvres, toiles, sculptures, livres, morceaux de musique ou autres. Le public qui aime un artiste est parfois surpris, déçu ou émerveillé par les œuvres qu'il produit. Mais ce qui déçoit l'un émerveille peut-être un autre. C'est une question de point de vue. Alors à quoi bon espérer que l'année sera bonne ? Elle sera, et on ne saura qu'après si elle a été bonne, de la même façon qu'il aura fallu goûter un fruit pour en connaître la saveur.

    Alors prenons l'année comme elle vient, avec ce qu'elle nous donne et utilisons-la pour grandir, nous construire, nous développer et faire quelque chose que l'arbre aurait bien du mal à faire : partager !

     

  • Anges et démons font la bombe

     

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    Below - Acrylique sur papier spécial - 21x30 - 2017

    Créer est pour moi l'issue d'un intense combat. Cette prise de conscience me permet de comprendre pourquoi j'étais jusqu'ici peu à l'aise avec la notion de plaisir lorsque je peins.

    Dans l'imaginaire du public, la pratique des arts plastiques est souvent un loisir, donc quelque chose que l'on pratique avec plaisir puisqu'un loisir est choisi. C'est parfois l'exercice d'un talent, en général reconnu par le spectateur par la beauté qu'il voit dans l'œuvre ou l'émotion qu'elle provoque en lui. Le talent s'exerce avec fluidité, sans effort démesuré, puisqu'il représente par définition un don remarquable ou une aptitude particulière.

    Dans mon processus de création, je ne ressens ni plaisir ni souffrance et ce n'est jamais un problème. Mes créations sont une libération d'énergie, telle une bombe qui explose à un moment impossible à prévoir. Il peut se passer plusieurs mois sans que je touche un pinceau ou un couteau. Dans ce contexte, tous les jours, toutes les heures, à chaque minute parfois, je sens une voix qui me dit : "ça commence à faire longtemps que tu n'as pas peint". Aussitôt une autre voix intérieure répond : "si tu ne peins pas, c'est que ce n'est pas le moment, tu le sais bien. Quand ce sera le moment, tu le sauras, tu le sentiras. Alors patiente !".

    Ainsi, je suis le soldat en alerte, qui guette ses sensations qui le préviennent que la bombe va bientôt exploser. Je me sens aussi comme un médiateur, celui qui permet à l'ange et au démon de trouver un terrain d'entente pour faire sortir le soldat-créateur de son inaction, pour l'envoyer au combat libérateur.

    C'est alors que d'autres créatures prennent le relai et le soldat, armé de son couteau à peindre, doit arbitrer les choix gestuels et colorés : "pas trop de couleur", dit l'une ; "suis ton instinct", dit l'autre ; "fais un geste ample", dit une troisième; "coupe les liens avec le cerveau", sussure une quatrième...

    Laquelle est ange ? Laquelle est démon ? Je finis par m'y perdre. Finalement le talent du médiateur-soldat est de les faire coexister. Le bien, le mal, les anges, les démons, l'imagerie populaire est riche dans ce domaine. Si l'homme social choisit son camp, selon les repères culturels dont il dispose, l'artiste créateur, lui, ne peut prendre parti. Car le démon du moment sera peut-être l'ange d'un autre et vice-versa. Ils sont tous les deux très importants car, sans eux, pas de tension, pas d'énergie, pas d'explosion, pas de libération.

    "Below" n'a pas échappé à ce processus créatif. L'énergie s'était accumulée pendant 3 mois avant sa libération.

  • Eloge du "n'importe quoi" : aucune maîtrise

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    & - Acrylique sur papier spécial - 21x30 - 2013
    Mon second "Geste coloré"

    Avec mon premier "Geste coloré" (cf. mon article du 22 décembre 2016), je m'étais libéré de quelque chose. Pour la première fois depuis mon entrée en peinture, deux années plus tôt, j'avais fait ce que je voulais : n'importe quoi !

    Pas de casse-tête pour trouver la bonne couleur, comme pendant mes cours de copie de tableaux de maîtres, pas de stress pour tenter de produire un dessin ressemblant dans le temps imparti, comme lors de mes cours de dessin d'après modèle, pas de question sur ce que je vais pouvoir produire sur un thème imposé, comme au cours de mes sessions de développement artistique... Tout s'était passé en un court moment, presque fulgurant.

    Libre, bon sang ! Et soulagé d'avoir outrepassé la peur de la feuille blanche. Cela colle parfaitement avec ce que j'ai appris et compris, beaucoup plus tard : créer, c'est transformer en création les obstacles à la création. Je ne l'ai pas découvert tout seul. Mais lorsque j'ai entendu de la bouche de mon coach cette définition, je me suis transporté instantanément 4 ans plus tôt, avec le souvenir des sensations ressenties lors de cette première expérience.

    Aujourd'hui, ces sensations sont encore vivaces dans mon esprit : le ras-le-bol déclencheur, le besoin d'agir dans l'instant, la transgression des conseils de ma prof (j'ai pris un support qu'elle considérait inadapté pour peindre), le choix des outils (couleurs primaires et un couteau), le passage à l'acte irréfléchi et, au final... l'étonnement de considérer ce truc bizarre, aux antipodes de ce je réalisais jusqu'ici. L'abstraction s'était imposée à moi sans que je maîtrise quoi que ce soit.