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Le devenir n'existe pas !

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  • Le 29/04/2017
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Clement1988 photo cavanagh ciric

Olivier Clément (1921-2009) - Ecrivain, poète, théologien (photo cavanagh ciric - 1988)

 

Mon père fait du rangement et parfois des trouvailles. La dernière m'a ramené quarante-cinq ans en arrière. J'étais alors étudiant dans un lycée parisien.

L'histoire-géo était une matière jugée mineure dans le cursus scientifique que je suivais à l'époque. En classe de seconde, le prof se faisait régulièrement chahuter et il lui était parfois impossible d'assurer correctement son cours. J'assistais au spectacle, d'un côté amusé de l'audace de mes camarades et de l'autre désolé de voir un professeur respectable subir l'effronterie d'un groupe d'excités.

L'année suivante, en première, c'était bien différent. Le professeur d'histoire-géo, Olivier Clément, avait une autorité naturelle. Quand il parlait, on écoutait. Il avait l'élocution d'un conférencier, verbe choisi, accessible au public. Il parlait clair, d'un ton doctoral que son érudition autorisait aux yeux des adolescents en quête de repères que nous étions. Il restait campé derrière le bureau, juché sur une estrade. Il quittait cet ilôt lors des contrôles, parcourant les allées, silencieux, menton levé, mains jointes dans le dos. Il y avait dans sa posture une certaine noblesse mais aussi les signes du respect et de la bienveillance... en un mot : de l'humanité.

Découverte au fond d'un tiroir, une feuille A4 dactylographiée et signée de mon ancien professeur se trouve entre les mains de mon père. Il me la tend, pensant que sa lecture pourrait m'intéresser. Je lis les premiers mots : "Dans la démarche de l'artiste...". Oui ! Ça m'intéresse ! Je lis la suite avec avidité :

"Dans la démarche de l'artiste, dans la démarche de tout homme qui s'arrache au somnambulisme du quotidien, il y a recherche, creusement, interrogation. Ou, plus simplement, et d'un mot qui résume tout, éveil...

Les vieux ascètes disaient que le plus grand des péchés est l'oubli : devenir opaque, insensible, tantôt affairé, tantôt pauvrement sensuel, incapable de s'arrêter un instant dans le silence, de s'étonner, de chanceler devant l'abîme, qu'il soit d'horreur ou de jubilation. Incapable d'aimer, d'admirer, de se révolter, incapable d'accueillir les êtres et les choses, insensible aux sollicitations secrètes.

L'art ici nous éveille. Il nous approfondit dans l'existence, il fait de nous des hommes et non des machines. Il rend nos joies solaires et nos blessures saignantes.

Il nous ouvre à l'angoisse et à l'émerveillement... émerveillement qui se fait parfois gratitude d'être" (*).

J'aime la fulgurance de ce retour en arrière. Elle a quelque chose à voir avec ma façon de peindre. Je perçois aujourd'hui le privilège d'avoir croisé l'homme qui a écrit ces phrases en lien direct avec ce que je vis depuis quelques mois. À leur lecture, je retrouve avec tendresse des années de souffrance scolaire, écrasé par le poids d'un avenir que je devais assurer et d'un devenir que je devais résussir. J'ai gardé, jusque récemment, cette épée de Damoclès au dessus de ma tête.

Olivier Wahl, artiste et écrivain avec lequel je m'entretiens régulièrement à propos de l'art et de l'artiste, a donné un jour une définition de l'art qui m'a marquée : "L'art, c'est ce qui donne l'image de ce que c'est qu'être humain". Cette vision, partagée avec Olivier Clément, rend plus légère mon existence. Elle m'apaise dans la mesure où je sens que ma quête d'art passe par l'éveil, ancré dans le réel et dans la conscience du moment présent. Je perçois ainsi la bonne nouvelle : ce devenir qui m'angoissait n'existe pas, puisqu'il change à chaque instant !

 

(*) Phrases extraites d'un texte constitué en préface au catalogue d'icônes de l'exposition "Les arrhes du Royaume" (Atelier Gustave, Paris 2007).

 

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