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  • Ma responsabilité ? Poursuivre !

    Aeolidia br 1

    Aeolidia - Acrylique sur papier spécial - 21x30 - 2015

     

    Mercredi 2 août 2017

    J’ai reçu hier sur mon site internet un message particulièrement touchant. Un téléspectateur qui m’avait vu le jour-même lors de mon passage au jeu Harry écrivait :

    « Après vous avoir vu dans le programme Harry sur France 3 et en toute curiosité, vous sachant peintre, j'ai voulu découvrir votre art.
    Je l'ai fait avec beaucoup de plaisir, j'adore ce que vous faites, c'est bien autrement, c'est bien différent, c'est bien sans connotation, c'est bien véritable, c'est bien intelligent, c'est bien original, c'est bien venant de quelqu’un qui est riche d'imagination et de plaisirs de l'art, vos copies sont excellentes, vos créations le sont bien plus encore.
    …je pense avec toute humilité, que vous devriez et vous le faites depuis cette année, privilégier votre propre peinture elle est une grande peinture. Merci. »

    Le soir-même, je postais un mail en réponse à ce sympathique internaute, le remerciant de ses éloges. En général, je signe mes messages avec mes coordonnées mail et réseaux sociaux, sans laisser mon téléphone. Sans y avoir prêté attention, j’avais cette fois-ci omis de supprimer le numéro de téléphone de ma signature. Je m'en étais rendu compte plus tard, en rédigeant un nouveau message. Mercredi soir, rentrant d’une longue journée passée à l’extérieur, je reçois l’appel d’un numéro inconnu. Contrairement à mon habitude, je décroche. Mon interlocuteur se présente et je reconnais le nom de l’auteur du message si élogieux auquel j’avais répondu la veille.

    « Vous m’avez laissé votre téléphone, alors j’ai appelé. J’ai d’abord hésité à le faire et puis j’ai senti qu’il était nécessaire pour moi de vous parler, de vous entendre ». Nous avons beaucoup discuté. Très peu de technique et beaucoup à propos de ressentis et de posture.

    « À vous écouter, vous me révélez qui je suis. Vous exprimez des choses que je ressens et dont je n’avais pas encore pris conscience ». Mon interlocuteur est peintre, depuis une quinzaine d’années. Il sait ce qu’est la pulsion créatrice et aussi ce qu’est ne pas avoir envie, ni besoin, de peindre. Il me confie que son père était un excellent aquarelliste. Enfants, avec ses frères et sœurs il s’était essayé à l’exercice difficile de l’aquarelle. « Tu gouaches, mon fils ! » lui disait son père, soulignant ainsi qu’il pensait trop « couleur » et pas assez « lumière ». Il considérait n’être jamais parvenu à pratiquer l'aquarelle de façon satisfaisante. Pour lui, mes aquarelles sur Paris vu de la Seine témoignaient du fait que, contrairement à lui, j’avais compris comment fonctionne cette technique.

    Il était estomaqué de la rapidité avec laquelle j’étais arrivé à faire ma « propre peinture ». Il se considérait jeune dans la pratique avec dix-sept ans d’expérience. Mes cinq petites années représentaient pour lui un trajet fulgurant. Le mot me parlait, évidemment, puisque ma dernière exposition se nommait « Fulgurances ». Lui n’exposait pas malgré les sollicitations de son entourage. Il ne voyait pas l’utilité de le faire dans la mesure où il peignait pour lui, pas pour les autres. Nous avons commencé une discussion sur la question « y-a-t’il artiste s’il n’y a pas public ? ». Je me souviens avoir pensé que cela pourrait représenter un bon sujet de baccalauréat, le prof ajoutant « vous avez quatre heures ! ».

    Mon partenaire de discussion évoqua ensuite l’art vivant, en l’opposant à celui du passé. « Picasso, Cézanne, Van Gogh, Monet sont des maîtres mais ils sont morts. Vous, vous êtes vivant ! » me disait-il. « Ce que vous disiez à la télé de l’art et de votre façon d’être artiste m’a touché et m’a donné envie d’en savoir plus sur vous et sur ce que vous faites. Si l’art est vivant, c’est grâce à des gens comme vous. Pour cela, MERCI ! On parle trop des morts et pas assez des vivants. Vous devriez être davantage exposé et promu ».

    Aïe ! J’oscille entre la gêne d’être mis sur un piédestal et la satisfaction de l’ego. Maintenant, il faut assumer. Je me surprends à m'interpeler : « Tu as choisi la voie artistique, tu es mis en avant par une personne qui a osé prendre son téléphone pour t’appeler sans te connaître et te livrer avec sincérité ce qu'il ressent et qui te concerne… ». Où suis-je maintenant ? Que fais-je là, à discuter avec une personne qui m’encense ? Que puis-je faire de cette expérience ? Ces quarante-cinq minutes passées en sincère compagnie vont m’habiter longtemps et représentent une pierre blanche sur mon chemin. Une pierre lumineuse, visible, qui me dit « Tu es passé par là et ça t’a fait grandir. Maintenant, ta responsabilité est de poursuivre la route ».

  • Le devenir n'existe pas !

    Clement1988 photo cavanagh ciric

    Olivier Clément (1921-2009) - Ecrivain, poète, théologien (photo cavanagh ciric - 1988)

     

    Mon père fait du rangement et parfois des trouvailles. La dernière m'a ramené quarante-cinq ans en arrière. J'étais alors étudiant dans un lycée parisien.

    L'histoire-géo était une matière jugée mineure dans le cursus scientifique que je suivais à l'époque. En classe de seconde, le prof se faisait régulièrement chahuter et il lui était parfois impossible d'assurer correctement son cours. J'assistais au spectacle, d'un côté amusé de l'audace de mes camarades et de l'autre désolé de voir un professeur respectable subir l'effronterie d'un groupe d'excités.

    L'année suivante, en première, c'était bien différent. Le professeur d'histoire-géo, Olivier Clément, avait une autorité naturelle. Quand il parlait, on écoutait. Il avait l'élocution d'un conférencier, verbe choisi, accessible au public. Il parlait clair, d'un ton doctoral que son érudition autorisait aux yeux des adolescents en quête de repères que nous étions. Il restait campé derrière le bureau, juché sur une estrade. Il quittait cet ilôt lors des contrôles, parcourant les allées, silencieux, menton levé, mains jointes dans le dos. Il y avait dans sa posture une certaine noblesse mais aussi les signes du respect et de la bienveillance... en un mot : de l'humanité.

    Découverte au fond d'un tiroir, une feuille A4 dactylographiée et signée de mon ancien professeur se trouve entre les mains de mon père. Il me la tend, pensant que sa lecture pourrait m'intéresser. Je lis les premiers mots : "Dans la démarche de l'artiste...". Oui ! Ça m'intéresse ! Je lis la suite avec avidité :

    "Dans la démarche de l'artiste, dans la démarche de tout homme qui s'arrache au somnambulisme du quotidien, il y a recherche, creusement, interrogation. Ou, plus simplement, et d'un mot qui résume tout, éveil...

    Les vieux ascètes disaient que le plus grand des péchés est l'oubli : devenir opaque, insensible, tantôt affairé, tantôt pauvrement sensuel, incapable de s'arrêter un instant dans le silence, de s'étonner, de chanceler devant l'abîme, qu'il soit d'horreur ou de jubilation. Incapable d'aimer, d'admirer, de se révolter, incapable d'accueillir les êtres et les choses, insensible aux sollicitations secrètes.

    L'art ici nous éveille. Il nous approfondit dans l'existence, il fait de nous des hommes et non des machines. Il rend nos joies solaires et nos blessures saignantes.

    Il nous ouvre à l'angoisse et à l'émerveillement... émerveillement qui se fait parfois gratitude d'être" (*).

    J'aime la fulgurance de ce retour en arrière. Elle a quelque chose à voir avec ma façon de peindre. Je perçois aujourd'hui le privilège d'avoir croisé l'homme qui a écrit ces phrases en lien direct avec ce que je vis depuis quelques mois. À leur lecture, je retrouve avec tendresse des années de souffrance scolaire, écrasé par le poids d'un avenir que je devais assurer et d'un devenir que je devais résussir. J'ai gardé, jusque récemment, cette épée de Damoclès au dessus de ma tête.

    Olivier Wahl, artiste et écrivain avec lequel je m'entretiens régulièrement à propos de l'art et de l'artiste, a donné un jour une définition de l'art qui m'a marquée : "L'art, c'est ce qui donne l'image de ce que c'est qu'être humain". Cette vision, partagée avec Olivier Clément, rend plus légère mon existence. Elle m'apaise dans la mesure où je sens que ma quête d'art passe par l'éveil, ancré dans le réel et dans la conscience du moment présent. Je perçois ainsi la bonne nouvelle : ce devenir qui m'angoissait n'existe pas, puisqu'il change à chaque instant !

     

    (*) Phrases extraites d'un texte constitué en préface au catalogue d'icônes de l'exposition "Les arrhes du Royaume" (Atelier Gustave, Paris 2007).